Apnée du sommeil et risque cardiovasculaire : lien avec l'hypertension et les maladies du cœur
Quand le sommeil étouffe votre cœur
Vous vous réveillez fatigué, même après huit heures de lit ? Votre partenaire dit que vous ronflez comme un train de marchandises ? Et si ce n’était pas juste un problème de sommeil, mais un signal d’alerte pour votre cœur ? L’apnée du sommeil, ce trouble où la respiration s’arrête plusieurs fois par nuit, n’est pas qu’un simple inconfort. C’est un facteur de risque cardiovasculaire majeur, aussi sérieux que le tabac ou le cholestérol élevé. Et pourtant, 80 % des personnes concernées ne le savent pas.
Comment l’apnée du sommeil attaque votre système circulatoire
Chaque fois que vous arrêtez de respirer pendant votre sommeil, votre corps entre en mode urgence. Vos niveaux d’oxygène chutent, votre sang se charge en dioxyde de carbone, et votre système nerveux sympathique se déclenche comme un alarme. Résultat ? Vos niveaux d’adrénaline et de noradrénaline montent en flèche - jusqu’à quatre fois plus qu’en situation normale. Votre cœur doit pomper plus fort, vos vaisseaux se contractent, et votre pression artérielle explose.
Ce n’est pas un pic passager. C’est un stress répété, nuit après nuit. Au fil des années, cette tension constante endommage les parois de vos artères. Vos cellules endothéliales - celles qui protègent vos vaisseaux - deviennent dysfonctionnelles. La dilatation naturelle des artères diminue de 25 à 40 %. Votre corps entre en état d’inflammation chronique : les taux de protéine C-réactive augmentent de 35 à 50 %. Et les dommages oxydatifs, mesurés par la malondialdéhyde, sont deux à trois fois plus élevés que chez les personnes sans apnée.
Le lien direct avec l’hypertension
Si vous avez une pression artérielle élevée qui ne répond pas aux médicaments, il faut penser à l’apnée du sommeil. Jusqu’à 80 % des patients souffrant d’hypertension résistante - c’est-à-dire qui reste au-dessus de 140/90 mmHg malgré trois traitements différents - ont une apnée du sommeil non diagnostiquée.
Les chiffres sont frappants : les personnes atteintes d’apnée obstructive ont deux à trois fois plus de risques de développer une hypertension dans les cinq ans suivant l’apparition des premiers symptômes. Ce n’est pas une corrélation : c’est une causalité. Et ce n’est pas seulement la pression diurne qui monte. La plupart des gens voient leur pression baisser naturellement la nuit - ce qu’on appelle le « dipping ». Mais chez 70 à 80 % des patients avec apnée, cette baisse nocturne disparaît. Leur pression reste haute ou même augmente pendant la nuit. Ce schéma « non-dipping » ou « reverse-dipping » est un marqueur puissant de risque cardiaque accru.
Un risque accru d’infarctus et d’AVC
Les personnes atteintes d’apnée modérée à sévère (indice d’apnée-hypopnée ≥15) ont 30 % plus de risques de développer une maladie coronarienne, et jusqu’à 60 % plus de risques d’avoir un infarctus du myocarde. Ce n’est pas une question de hasard. Une étude de l’UT Southwestern publiée en juillet 2024 montre que 26,5 % des infarctus chez les patients avec apnée se produisent entre minuit et 6 heures du matin - contre seulement 16,5 % chez les personnes sans apnée. C’est comme si votre cœur était en danger pendant les heures où il devrait se reposer.
Et pour les AVC ? Le risque est encore plus élevé. L’apnée du sommeil multiplie par 2,5 le risque d’avoir un premier AVC, et par 3,2 celui d’en avoir un second. La gravité de la chute d’oxygène pendant le sommeil est directement liée à la mortalité : si votre taux d’oxygène reste sous 90 % pendant plus de 12 % du temps de sommeil, votre risque de décès par AVC augmente de 4,3 fois.
Le cœur qui s’affaiblit
Le lien entre apnée du sommeil et insuffisance cardiaque est bidirectionnel : l’apnée peut provoquer une insuffisance cardiaque, et l’insuffisance cardiaque peut provoquer de l’apnée. Entre 40 et 60 % des patients atteints d’insuffisance cardiaque présentent aussi une apnée du sommeil. Et inversement, les personnes avec apnée obstructive ont 140 % plus de risques de développer une insuffisance cardiaque.
Pourquoi ? Parce que chaque arrêt respiratoire crée une pression négative dans la poitrine - jusqu’à 30 à 50 % plus forte qu’une respiration normale. Cette pression force le cœur à travailler contre une résistance accrue, comme s’il devait pousser du sang dans un tuyau écrasé. Le muscle cardiaque s’épaissit, se fatigue, et finit par ne plus pouvoir pomper efficacement.
Les rythmes cardiaques en folie
Si vous avez une fibrillation auriculaire, il y a de fortes chances que l’apnée du sommeil soit aussi présente. Les données montrent que les patients avec apnée ont deux à quatre fois plus de risques de développer cette arythmie. Dans un registre de la Heart Rhythm Society, 49 % des patients avec fibrillation auriculaire paroxystique avaient une apnée du sommeil, contre seulement 21 % chez ceux qui n’en avaient pas.
C’est un cercle vicieux. L’apnée provoque des variations brutales d’oxygène et de pression, ce qui perturbe l’électricité du cœur. Et une fois que la fibrillation auriculaire est installée, elle devient plus difficile à traiter. Les patients avec apnée non traitée ont jusqu’à 30 % moins de chances de réussir une ablation par cathéter - une procédure courante pour rétablir un rythme normal.
Un danger plus grave chez les jeunes
On pense souvent que les maladies cardiovasculaires ne touchent que les personnes âgées. Mais l’apnée du sommeil change cette règle. Une étude récente a montré que les adultes de 20 à 40 ans avec des symptômes d’apnée ont 45 % plus de risques d’avoir une hypertension, 33 % plus de risques de diabète et 25 % plus de risques de syndrome métabolique que leurs pairs sans apnée. Chez les plus de 41 ans, ces risques n’augmentent que de 10 à 12 %.
Cela signifie que l’apnée du sommeil accélère le vieillissement cardiovasculaire. Elle ne se contente pas d’ajouter des années à votre vie - elle ajoute des maladies à vos années. Si vous avez 35 ans, que vous êtes en surpoids, que vous ronflez et que vous êtes toujours fatigué, vous n’êtes pas juste « en manque de sommeil ». Vous êtes en danger.
Les traitements : CPAP, mais pas seulement
Le traitement le plus connu, la pression positive continue (CPAP), est efficace - mais pas comme on le croit. Il ne fait baisser la pression artérielle que de 2 à 3 mmHg en moyenne. Ce n’est pas une révolution. Mais il réduit de 37 % le risque de récidive d’AVC, et améliore nettement les résultats chez les patients avec insuffisance cardiaque et apnée centrale.
Le vrai problème, c’est l’observance. Seulement 46 % des patients utilisent leur appareil CPAP au moins 4 heures par nuit, sur 70 % des nuits. Et si vous ne l’utilisez pas régulièrement, le risque cardiovasculaire reste. Ce n’est pas un gadget. C’est un traitement médical, aussi important qu’un antihypertenseur.
Des alternatives existent : les dispositifs d’avancement mandibulaire, la perte de poids (même 10 % de poids en moins réduit l’indice d’apnée de 50 %), et la rééducation respiratoire. Mais le CPAP reste la référence. Et il faut le prendre au sérieux.
Quand consulter un cardiologue
Les cardiologues ne devraient plus attendre que vous veniez avec un ronflement. Ils doivent poser la question : « Avez-vous des pauses respiratoires pendant votre sommeil ? »
Si vous avez une hypertension, une fibrillation auriculaire, une insuffisance cardiaque, ou un AVC - surtout si le traitement ne marche pas bien -, vous devez être dépisté pour une apnée du sommeil. L’American Heart Association recommande désormais de le faire systématiquement.
Un simple questionnaire comme le STOP-Bang (qui demande si vous ronflez, êtes fatigué, avez une pression élevée, êtes en surpoids, avez un cou gros, êtes un homme, ou avez déjà été diagnostiqué avec une apnée) a une sensibilité de 84 % pour détecter les cas modérés à sévères. Il ne prend pas cinq minutes. Et il peut sauver votre cœur.
Le message clair
L’apnée du sommeil n’est pas un problème de sommeil. C’est un problème de cœur. Elle est aussi dangereuse que le tabac, mais bien moins connue. Elle est sous-diagnostiquée, sous-traitée, et sous-estimée. Pourtant, elle touche 1 adulte sur 5 avec une forme modérée à sévère. Et son taux augmente de 5 % par an, en lien avec l’épidémie d’obésité.
Si vous avez un ou plusieurs des signes suivants : ronflement fort, pauses respiratoires, fatigue chronique, hypertension résistante, ou rythme cardiaque irrégulier - ne laissez pas passer cette alerte. Parlez-en à votre médecin. Faites un dépistage. Ce n’est pas une question de confort. C’est une question de vie ou de mort.
L’apnée du sommeil peut-elle causer une crise cardiaque pendant la nuit ?
Oui. Les événements cardiovasculaires, comme les infarctus, sont plus fréquents entre minuit et 6 heures du matin chez les personnes atteintes d’apnée du sommeil. C’est dû aux pics de pression artérielle, à la baisse d’oxygène et à l’activation du système nerveux pendant les apnées. Une étude de 2024 montre que 26,5 % des infarctus chez ces patients surviennent dans cette fenêtre horaire, contre seulement 16,5 % chez les personnes sans apnée.
Le CPAP fait-il baisser la pression artérielle ?
Oui, mais modérément : en moyenne, 2 à 3 mmHg de baisse de la pression systolique. Ce n’est pas suffisant pour remplacer un traitement antihypertenseur. Mais le CPAP réduit le risque d’AVC de 37 % et améliore la survie chez les patients avec insuffisance cardiaque. L’effet protecteur ne vient pas seulement de la baisse de pression, mais de la réduction du stress oxydatif, de l’inflammation et des arythmies.
Pourquoi les jeunes avec apnée ont-ils plus de risques que les plus âgés ?
Parce que leur cœur n’a pas encore été exposé à d’autres facteurs de risque comme le vieillissement ou le cholestérol. L’apnée agit comme un accélérateur : elle endommage les vaisseaux et le muscle cardiaque dès les premières années. Chez les 20-40 ans, l’apnée augmente le risque d’hypertension de 45 %, alors que chez les plus de 41 ans, l’augmentation est seulement de 10-12 %. C’est un signe que l’apnée accélère le vieillissement cardiovasculaire.
Est-ce que perdre du poids peut guérir l’apnée du sommeil ?
Oui, surtout si vous êtes en surpoids. Une perte de 10 % de votre poids corporel peut réduire l’indice d’apnée-hypopnée de 50 % ou plus. Chez les personnes obèses, la perte de poids est souvent le traitement le plus efficace à long terme. Elle réduit la pression sur les voies respiratoires et diminue l’inflammation systémique. Dans certains cas, elle permet même d’arrêter le CPAP.
Si je n’ai pas de ronflement, puis-je quand même avoir une apnée du sommeil ?
Oui. L’apnée centrale, qui est moins fréquente, ne provoque pas de ronflement. Elle est causée par un échec du cerveau à envoyer le signal de respirer. Elle touche souvent les personnes avec insuffisance cardiaque ou un antécédent d’AVC. Même sans ronflement, si vous avez une fatigue extrême, des réveils nocturnes, ou une hypertension résistante, un dépistage est nécessaire.
Que faire maintenant ?
Si vous avez déjà une maladie cardiaque ou une pression artérielle élevée, demandez à votre médecin de vous dépister pour une apnée du sommeil. Si vous ronflez fort, vous êtes fatigué tout le temps, ou votre partenaire a remarqué des arrêts respiratoires, ne les ignorez pas. Faites un test à domicile ou une polysomnographie. Ce n’est pas une perte de temps - c’est une protection pour votre cœur.
Et si vous n’avez pas encore de maladie, mais que vous êtes en surpoids et que vous vous réveillez comme si vous n’aviez pas dormi - commencez par perdre du poids. Réduisez l’alcool le soir. Dormez sur le côté. Parlez-en à votre médecin. Votre cœur vous remerciera dans dix ans - et peut-être même dans cinq.